De notre envoyé spécial à Berlin, François Caviglioli
C'est le Vopo qui avait choisi la liberté. Il s'appelait Conrad Schumann. Au musée de Checkpoint Charlie consacré au mur de Berlin et à ses martyrs, on voit la photo qui l'a fait entrer dans l'Histoire. C'était en 1961, juste avant que le mur ne coupe Berlin en deux villes et en deux peuples. Conrad saute les barbelés,
coiffé de son casque de la RDA, et se retrouve à l'Ouest, dans le secteur français. Pendant quinze jours, on le célèbre, on le fête. Et puis on l'oublie. Conrad n'a pu s'adapter à l'Occident, à cette ville alors opulente qui n'était pas faite pour lui. Il mourra quelques années plus tard, alcoolique et clochard. Il avait cru rejoindre ses frères, et il n'avait croisé que des Wessis indifférents (Allemands de l'Ouest). Pauvre Conrad, il aura été le premier des «ostalgiques», ces ressortissants de l'ancienne RDA qui regrettent le communisme.
Aujourd'hui, à Checkpoint Charlie, qui fut; un des trois points de passage entre l'Est et; l'Ouest, on rejoue tous les jours la guerre; froide, que les Ossis (Allemands de l'ex-RDA) jugent pétrie de chaleur humaine. «Il faut les comprendre, dit Maik Schwolow, qui a ouvert à Berlin un musée de l'Ostalgie, ils sont fanatiques parce qu'ils sont malheureux.» Pour oublier leur malheur, les Ossis remontent le temps. Des étudiants déguisés en marines, le drapeau étoile à la main, veillent sur un poste de garde protégé par des sacs de sable. Boris, un petit malin, a installé un stand où pour 5 euros il colle sur votre passeport des tampons britannique, américain et français comme si vous quittiez le secteur occidental. Pour les Ossis, la liberté n'est plus dans l'enfer capitaliste qui a tué Conrad Schumann, mais dans cette RDA engloutie qu'ils désiraient tant quitter quand elle existait encore. Pendant de longues années, ils ont rêvé de l'Occident comme de la Terre promise, ils ont essayé de l'apercevoir pardessus le Mur. Mais aujourd'hui ils ont changé de paradis.
L'Ostalgie est un pays stigmatisé, jeté aux poubelles de l'Histoire, mais qui continue de vivre dans les têtes et dans les coeurs. Le fantôme d'un Etat défunt qui avait de bons côtés malgré la dictature. L'ostalgie a ses rites, ses codes, ses mots de passe. Les Ossis se reconnaissent entre eux au premier coup d'oeil. Ils sont liés par des souvenirs d'enfance et de jeunesse. «Hé oui, c'est en RDA qu'on a donné et reçu nos premiers baisers, qu'on a aimé, qu'on s'est mariés et qu'on a fait des enfants, dit Frau Regina Starck, une Ossi qui travaille dans la tour de télévision d'Alexanderplatz. Qu'est-ce qu'Us croient, ceux de l'Ouest ? Nous aussi, on a vécu.» Les Ossis sont au bord des larmes lorsqu'ils évoquent les émissions enfantines de la télé est-allemande, bien meilleures qu'à l'Ouest, dont les petits Wessis étaient fous. Il y avait Herr Fuchs le renard, Frau Elster la pie, le petit bonhomme Pittiplatsch, et Sandmannchen le marchand de sable, sorti tout droit d'un conte d'Hoffmann. Les parents regardaient eux aussi, peut-être pour ne plus penser au voisin employé par la Stasi qui les guettait à travers son judas. Peu importe. «Das waren noch Zeiten.» C'était le bon temps.
Au marché aux puces de Bernauer Suasse qui s'étale dans une friche industrielle à vous pousser au suicide, on vend, outre des drapeaux communistes frappés de la faucille et du marteau, de rudimentaires perceuses et d'antiques ordinateurs made in RDA, et surtout l'objet ostalgique entre tous : le coquetier en plastique, qui fait fureur même à l'Ouest. De l'autre côté de la rue passait le mur avec ses miradors et ses mitrailleuses. Des plaques encastrées dans le trottoir rappellent les noms de ceux qui ont été abattus en tentant de le franchir. On marche dessus sans leur accorder un regard. L'ostalgie est devenue un business qui booste l'économie allemande. Ces morts qui croyaient à la liberté sont aujourd'hui gênants.
L'ex-RDA est un marché de 16 millions d'habitants, tous accros aux produits rétro qui leur rappellent ce bon Honecker. Les grandes surfaces leur proposent des linéaires entiers de bouffe et de gadgets communistes invraisemblables, comme de la barbe à papa en conserve et du gaz recueilli dans le pot d'échappement d'une Trabant. C'est leur madeleine de Proust. Les grandes firmes de l'Ouest se sont engouffrées dans ce merchandising de la mémoire. Un créneau porteur. Les cigarettes Karo, la gauloise de l'Ossi, ont été rachetées par Philip Morris, le Vita-Cola, le Coca socialiste, par la société OetkerKonzern, les disques Amiga par Sony, Florena, un ersatz de la crème Nivea, par Beiersdorf, qui en retire un chiffre d'affaires de 63 millions d'euros. Les Ossis paient aujourd'hui au prix fort ce qui ne leur coûtait autrefois presque rien. Ils n'ont plus le Mur pour les protéger. On comprend qu'ils le pleurent après l'avoir tant haï.
Les ostalgiques se réunissent dans des îlots postcommunistes où ils remâchent leurs rancoeurs. Le Café Sibylle, sur Karl-Marx-Allee, qui conserve dans une vitrine les moustaches de Staline, ou plutôt celles d'une statue de Staline qui a été abattue en 1961 après les révélations du rapport Khrouchtchev sur le stalinisme. Ces moustaches ont une histoire mouvementée. Elles ont été sauvées de la casse par un ouvrier qui avait travaillé à son corps défendant au démantèlement de cette statue qu'il vénérait. Personne ne sait comment elles sont arrivées au Café Sibylle. C'est un des secrets de l'ostalgie. Le Café Sibylle passe pour le rendez-vous des stasistes. Une association d'ultracommunistes, le Bélier rouge, y organise des soirées marxistes. Un peu plus loin, c est la librairie Karl Marx qui attire les ostalgiques. On peut y feuilleter des ouvrages d'exégèse marxiste et l'ouvrage fondamental d'Erich Honecker, «Ma vie». C'est dans cette librairie qu'a été tournée la dernière scène de «la Vie des autres», quand le stasiste repenti et touché par la grâce interprété par Ulrich Mùhe vient acheter le livre qui rend hommage à son courage. Le film n'aurait pas plu à la direction ni à la clientèle de la librairie.
Les Ossis de la deuxième génération viennent volontiers s'immerger pendant quelques jours dans le socialisme réel à l'Ostel, près de la gare de l'Est. L'établissement est ouvert depuis le mois de juillet. C'est une reconstitution approximative d'un hôtel RDA : design années 1950, coloris brou de noix, caisses à savon en guise de meubles, inconfort prolétarien avec toilettes et salle de bains sur le palier. Des portraits de Honecker ornaient à l'origine les chambres, mais les clients les volaient, et il faut maintenant, si on ne peut vraiment pas s'en passer, les acneter a la réception. L'hôtel est bien situé, pour les ostalgiques. Tout autour vivent dans des HLM délabrées de vieux Ossis qui viennent prendre leur petit déjeuner à l'Ossihof, un petit café sur la Strasse der Pariser Kommune, la rue de la Commune de Paris. Ils y jouent au loto, un jeu inoffensif qu'encourageait le pouvoir en RDA. «La clientèle de l'Os tel est jeune, dit Diana Sass, la réceptionniste, une Ossi rurale née dans le Mecklembourg. Ces garçons et ces filles viennent rechercher les valeurs de l'Est, amitié, solidarité, fraternité. Les valeurs de leurs parents.» Les Ossis aiment se tenir la main. Ils ont peur de se quitter. Ils ont leur magazine, «Super-Illu». Il a des couleurs criardes, il a l'air bas de gamme, mais il tire à 3,2 millions d'exemplaires. Il est lu par 20% des Allemands de l'Est au-dessus de 14 ans. Son directeur, Jochen Wolff, est lucide sur les états d'âme de ses lecteurs : «Pendant quarante ans, les Ossis n ont pas pris leur vie en main. Ils s'en remettaient à l'Etat. Es avaient h stabilité de l'emploi, mais beaucoup de ces emplois étaient inutiles et rémunérés en monnaie de singe. Comme on disait alors .«Faites semblant de travailler, on fera semblant de vous payer»»
Les jeunes Berlinois nés après la réunification fument des Karo, boivent du café Rondo, se lavent les cheveux avec le shampooing des travailleurs, un truc à vous rendre chauve à la première application. Ils se raccrochent à des produits qui n'éveillent en eux aucun souvenir. Ils n'ont jamais vu à la télé Herr Fuchs le renard, ni Frau Elster la pie. Ils s'enferment pourtant dans une RDA virtuelle parce qu'ils vomissent l'Ouest. Un sondage de l'Université libre de Berlin réalisé en novembre 2007 révèle que les deux tiers d'entre eux regrettent l'ancienne Allemagne de l'Est. Leurs réponses font froid dans le dos. Une dictature, la RDA ? Pas vraiment. La Stasi ? Un service de renseignement comme un autre.La RDA ? Finalement, c'était un petit pays assez marrant où tout était social. Dans son musée de l'Ostalgie, Maik Schwolow explique ce sondage : «Ces jeunes recherchent une identité perdue. Es veulent faire partie d'un groupe, d'une famille, comme c'était le cas en RDA, où on avait des collègues, des amis, des voisins, même s'ils appartenaient à la Stasi. Aujourd'hui, on vit dans l'anonymat et dans la jungle.»
La déprime des Ossis a gagné tout Berlin. La ville est ruinée. Elle a un taux de chômage de 18% contre 2% en Bavière. La municipalité fait des économies d'électricité. La nuit, Berlin n'est éclairé que par de rares loupiotes. «Des économies de bouts de chandelles, dit un Bavarois. Ils ont l'air d'attendre un bombardement. Il faudra leur dire un jour que la guerre est finie.»
François Caviglioli
Les photos illustrent la RDA, et ne proviennent pas de l'article d'origine.
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24 sept. 2009
Egon Krenz
BERLIN — Le dernier dirigeant communiste de l'Allemagne de l'Est, Egon Krenz, 72 ans, s'est dit jeudi "optimiste" quant à l'avenir du socialisme.
"Je suis toujours optimiste et ne peux croire que le capitalisme, avec toutes les crises qu'on lui connaît, puisse être le dernier mot de l'Histoire", a affirmé M. Krenz, qui a remplacé Erich Honecker à la tête de la RDA le 18 octobre 1989, trois semaines avant la chute du Mur de Berlin.
Erich honecker à gauche,avec Egon Krenz.
La liberté sans travail ce n'est pas la liberté", a affirmé M. Krenz, rappelant que le taux de chômage dans l'ex-RDA était près du double de celui de l'ouest du pays.
"Je suis content qu'il existe un parti de Gauche (Die Linke, extrême gauche). Je soutiens son programme, et vous savez donc comment je vais voter" aux législatives de dimanche, a souligné l'oeil malicieux le dernier secrétaire-général du parti communiste (SED) de RDA, qui a renoncé à ses fonctions en décembre 1989.
Il a qualifié de "mauvais" le bilan de la chancelière conservatrice Angela Merkel, qui a grandi en Allemagne de l'Est, lui accordant toutefois un bon point puisqu'elle a participé aux activités des Jeunesses communistes (FDJ).
Racontant l'histoire de la chute du Mur, il y a 20 ans, M. Krenz a estimé que l'Allemagne avait eu beaucoup de chance que l'ouverture de la frontière se soit passée sans effusion de sang.
Les garde-frontière n'avaient pas encore reçu d'ordre concernant l'ouverture du Mur lorsque des milliers de Berlinois se sont précipités aux points de passage le soir du 9 novembre 1989, "et je suis reconnaissant à ce jour aux forces armées qu'il n'y ait pas eu de sang versé", a ajouté M. Krenz selon qui l'ouverture du Mur ne devait avoir lieu que le lendemain 10 novembre.
M. Krenz, qui a passé quatre ans en prison après la réunification du pays en 1990 pour sa responsabilité dans la mort d'Allemands de l'est tentant de fuir à l'Ouest, a assuré que "tout mort à la frontière était un mort de trop".
Mais la Mur résultait de la division de l'Europe en deux blocs et d'une "guerre civile froide" entre les deux Allemagnes, a-t-il défendu. "Sans la prise de pouvoir par Hitler, la division de l'Allemagne n'aurait pas eu lieu et le Mur n'aurait jamais existé".
"Les murs qui existent aujourd'hui en Allemagne sont ceux qui séparent les pauvres et les riches", a-t-il lancé.
Image de wikipédia: