Par François ASSELINEAU
Version mise à jour du 12 octobre 2013
Le texte était tellement ficelé et le calendrier restant à courir avant le 10 mai tellement serré que la seule chose, ou à peu près, qui restait à faire à Robert Schuman, s’il ne voulait pas se ridiculiser, était de le lire et de s’en attribuer la paternité. De fait, et comme le révèle François Roth, « Schuman assume la responsabilité politique du texte de Monnet sans trop communiquer avec ses services ».(4)
Le fait que la fameuse « Déclaration Schuman » n’ait de Schuman que le nom de celui qui l’a lue devant la presse stupéfiera sans doute les lecteurs de 2010, les révoltera ou les laissera incrédules. Mais, outre que cette analyse est conforme aux recherches effectuées par François Roth, elle est aussi absolument conforme au déroulement des événements, au fonctionnement de l’État et à la simple logique. Expliquons pourquoi.
Le 9 mai 1950, Robert Schuman, flanqué de son mentor Jean Monnet à sa droite (cf. photo ?) lut « sa » Déclaration dans le Salon de l’Horloge du Quai d’Orsay devant la presse. Puis, chose étonnante, il quitta rapidement la salle, pour ne répondre à aucune question. Ni des journalistes ni… de ses propres collaborateurs éberlués. Il s’agissait pourtant d’une véritable « bombe » et l’annonce tout à trac de la mise en commun des ressources stratégiques du charbon et de l’acier entre la France et l’Allemagne, de la création d’une Haute autorité commune indépendante des gouvernements, et de la perspective d’une fédération européenne laissa l’assistance, dont quelque 200 journalistes, complètement médusée.
L’historiographie officielle explique d’ordinaire que « le travail avait été entouré de la plus grande discrétion afin d’éviter les inévitables objections ou contre-propositions qui en auraient altéré à la fois le caractère révolutionnaire et le bénéfice lié à l’effet de surprise » (13). Mais de qui se moque-t-on ? Pour qui connaît l’administration française, il est strictement impossible – et heureusement ! – qu’une décision stratégique d’une telle ampleur ait pu être prise en quelques jours par un ministre seul, après que trois personnes l’eussent griffonnée sur un coin de table, sans que les membres de son cabinet, les différents services concernés du Quai d’Orsay, ainsi que les services des autres ministères concernés, n’aient été dûment associés, pendant de longs mois, à l’étude préalable de sa faisabilité et de ses conséquences. Dans le cas contraire, les « inévitables objections », plutôt que d’avoir lieu avant auraient lieu après, et couleraient à coup sûr un tel projet.
C’est également impossible d’un point de vue allemand. L’historiographie officielle ose soutenir que le Chancelier ne fut prévenu à Bonn que le matin même de la conférence de presse prévue à Paris l’après-midi. Et que, tel Ubu Roi consulté au saut du lit, Adenauer « enthousiaste » aurait « répondu immédiatement qu’il approuvait de tout coeur », sans autre précision ni consultation, cette broutille consistant à mettre en commun l’acier et le charbon allemand avec celui de la France puis à bâtir une fédération européenne dans la foulée.(13) . Qui peut croire un instant à une telle fable ?
En réalité, si les administrations françaises, le reste du gouvernement et même le président de la République ne pipèrent mot alors qu’ils n’eurent vent de la « Déclaration Schuman » que le matin même, c’est que tous avaient compris qu’une très grande puissance tirait toutes les ficelles de l’opération. Que cette très grande puissance avait évidemment sondé préalablement les Allemands pour obtenir l’accord du Chancelier, et qu’elle avait acquis un tel poids dans l’appareil d’État français que Robert Schuman savait qu’il ne risquait pas d’être démissionné d’office après une telle incartade.
En bref, cette Déclaration n’avait pas été concoctée par « Jean Monnet et ses proches collaborateurs » , comme veut nous en persuader, parmi bien d’autres, le conte de fées publié sur le site de l’Union européenne (13). Elle était nécessairement le résultat d’instructions, méditées de longue date, émanant de Washington, dont Jean Monnet était l’agent traitant.
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Sommaire :
- 10 – La fameuse « Déclaration Schuman » et la non moins fameuse « méthode Monnet » ont été conçues par les Américains et pour les Américains
- 11 – Un projet peut en cacher un autre
- 12 – La fabrication du mythe Robert Schuman
- 13 – Le procès en canonisation de Robert Schuman
- 14 – L’Église catholique, qui n’a pas reconnu la création de l’Europe comme un miracle, en attend d’autres pour pouvoir béatifier puis canoniser Robert Schuman
- 15 – Le verrouillage de la vérité par les médias et la classe politique
Enfin, et pour conclure ce dossier, on relèvera ce fait étrange, déjà soulevé par un certain nombre de blogs et reconnu même par l’encyclopédie Wikipédia (14), que les chéquiers en euros, imprimés par toutes les banques, portent un extrait de la Déclaration du 9 mai 1950 créant la CECA Tout un chacun peut en faire l’expérience en sortant son chéquier, quel qu’il soit. Comme le montrent les photos ci-dessous (15), à condition de s’armer d’une loupe très puissante, on découvre que les lignes sur lesquelles on inscrit le montant en toutes lettres, l’ordre, le lieu, la date et les deux barres obliques, sont en fait constituées d’un texte en caractères microscopiques qui reprend la phrase la plus célèbre de la «Déclaration Schuman » : « L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes, créant d’abord une solidarité de fait ».
Cette découverte a conduit un certain nombre d’internautes à y voir une volonté de propagande insidieuse, sous forme de « messages subliminaux ». C’est sans doute conclure un peu hâtivement. Car la police de caractères est si microscopique qu’il est assez difficile à un oeil de déceler que le trait, en réalité non homogène, est constitué d’un alignement de lettres minuscules. Et il est quasiment impossible, même à un oeil de lynx, de pouvoir lire le texte sans l’aide d’une loupe puissante.
Les tenants d’une explication rationnelle assurent quant à eux qu’il n’y a là rien que de très normal. Ce ne serait qu’un simple dispositif de sécurité destiné à rendre plus ardu le travail des éventuels contrefacteurs de chèques. Cette explication n’emporte cependant pas non plus la conviction. D’une part parce que l’on peut douter qu’un tel dispositif puisse gêner les faussaires, alors que les chiffres en code barre et les filigranes des chèques sont assurément plus compliqués à reproduire. D’autre part parce que, même dans l’hypothèse du dispositif de sécurité, rien n’obligeait à prendre une série de lettres, et encore moins une phrase symbole de la construction européenne. Pourquoi par exemple ne pas avoir choisi la première phrase de la Déclaration des Droits de l’Homme (16) ou la devise de la République ? Et que diraient ceux qui ne voient pas malice dans cette reprise, si la phrase utilisée, au lieu d’être un extrait de la Déclaration Schuman, était un verset des Évangiles ou du Coran, un extrait du Mein Kampf d’Hitler ou le premier couplet de l’Internationale ?
C’est pourquoi cette apposition systématique de la Déclaration Schuman sur toutes les formules de chèques, opérée en catimini et sans que l’on sache qui en a eu l’initiative, laisse un sentiment de profond malaise. N’est-elle pas allégorique, au fond, de toute la trop fameuse « méthode Monnet Schuman », inventée à Washington et consistant à mettre en place, de façon subreptice et non démocratique, une structure politique ne recueillant pas l’assentiment conscient des populations ?
En 1950, la création d’une Communauté du Charbon et de l’Acier (CECA) n’était que le premier étage d’une fusée conçue aux États-Unis, dont le deuxième allait être la Communauté Européenne de Défense (CED), et dont l’objectif final était de transformer l’Europe occidentale en un « glacis » géostratégique américain face au « glacis » géostratégique soviétique.
Mais il était évidemment exclu de présenter le projet ainsi. Les opinions publiques européennes, et en particulier les Français et les Italiens où les Partis communistes inféodés à Moscou représentaient près de 30% de l’électorat, l’auraient immédiatement empêché (c’est d’ailleurs ce qui arriva en 1954 avec la CED que l’alliance entre les gaullistes du RPF et les communistes firent échouer). Il fallait donc trouver un stratagème pour avancer masqué, et pour donner à croire aux opinions publiques que la création de la CECA était d’origine européenne.
C’est ici qu’il faut chercher les raisons qui ont conduit le gouvernement américain du Président Truman à avoir recours à Robert Schuman pour prendre la responsabilité politique d’une Déclaration conçue outre-Atlantique, rédigée et transmise à l’intéressé par Jean Monnet, l’éternel Monsieur Bons Offices au service de Washington. En utilisant le ministre français des affaires étrangères, Truman et Dean Acheson, le Secrétaire d’État américain, firent preuve d’une grande sagacité politique, on peut même dire d’un coup de génie, qui leur avait d’ailleurs peut-être été soufflé par Jean Monnet. Car l’homme Schuman présentait de merveilleux atouts pour servir le dessein de Washington. Né Allemand puis devenu Français, n’ayant jamais combattu l’Allemagne et ayant même soutenu les Accords de Munich, le ministre français offrait un profil de rêve pour égarer les opinions publiques. Il leur donnait à penser que la CECA était une construction « européenne », imaginée par un Français, et dont l’objectif était de parvenir à « la paix » et à la « réconciliation franco-allemande ». Son catholicisme ostentatoire et ses liens avec le Vatican de Pie XII constituaient un atout décisif complémentaire pour présenter l’opération sous une forme propre à séduire les mouvements démocrates chrétiens de l’après guerre et les nombreux intellectuels chrétiens de cette époque.
Lorsque Raymond Poidevin décrit la proposition de Robert Schuman de créer une Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier comme « un geste téméraire à l’époque, qui soulignait le désir de pacification notamment avec l’Allemagne », on est en plein mythe. Le geste en question n’était pas de Robert Schuman, la « pacification avec l’Allemagne » n’en était qu’une présentation pour les opinions publiques, et il n’avait rien de bien téméraire puisque le ministre français, notoirement peu courageux, ne faisait que se plier aux desiderata de la superpuissance américaine.
En 2010, l’Union européenne que nous avons sous les yeux ne correspond en rien à l’espèce de fraternité européenne et chrétienne symbolisée par Schuman, mais ressemble en tout à une colonie américaine, exclusivement fondée sur le culte de l’Argent Roi et la liberté du commerce, bref sur le matérialisme le plus cynique et le plus désespérant. Aussi la personnalité de Robert Schuman n’intéresse-t-elle à peu près plus personne, pas plus que son « apostolat laïc ». Et tout le monde ressent en son for intérieur le caractère artificieux des propos dithyrambiques qui lui sont consacrés. Du reste, et comme le relève cruellement François Roth, « les discours où le nom de Schuman est évoqué sont des textes pauvres, convenus, rédigés par des attachés de cabinet qui travaillent à partir de notices de dictionnaires ou d’Internet.» (4)
Et pourquoi cela ? Parce que, comme le dit pudiquement Michel-Pierre Chelini, pourtant sur le site même de la fondation Robert Schuman, « il convient de ne pas surdimensionner son rôle ou sa clairvoyance. Toute la construction européenne n’est pas son œuvre. » (7) Voilà qui est joliment dit.
Au fond, Robert Schuman ne fut, tristement, qu’un prête-nom. Et les dithyrambes consacrés à ce prétendu « père de l’Europe » ne sont que la marque pénible de l’ignorance ou de la duperie.
« Jean Monnet et ses proches collaborateurs rédigèrent pendant les derniers jours d’avril 1950 une note de quelques feuillets qui contenait à la fois l’exposé des motifs et le dispositif d’une proposition qui allait bouleverser tous les schémas de la diplomatie classique. Loin de procéder aux traditionnelles consultations auprès des services ministériels compétents, Jean Monnet veilla à ce que ce travail soit entouré de la plus grande discrétion, afin d’éviter les inévitables objections ou contrepropositions qui en auraient altéré à la fois le caractère révolutionnaire et le bénéfice lié à l’effet de surprise. En confiant son document à Bernard Clappier, directeur du cabinet de Robert Schuman, Jean Monnet savait que la décision du ministre pouvait modifier le cours des événements. Aussi, quand, au retour d’un week-end dans sa région lorraine, Robert Schuman annonça à ses collaborateurs : ‘‘J’ai lu ce projet. J’en fais mon affaire’’, l’initiative était alors dans le champ de la responsabilité politique. Au moment même où le ministre français défendait sa proposition, dans la matinée du 9 mai, devant ses collègues du gouvernement, un émissaire de son cabinet le communiquait en main propre au chancelier Adenauer, à Bonn. La réaction de ce dernier fut immédiate et enthousiaste. Il répondit immédiatement qu’il approuvait de tout cœur la proposition. »
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