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1 mai 2014 4 01 /05 /mai /2014 23:23

 

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Par François ASSELINEAU
Version mise à  jour du 12 octobre 2013
Tous droits réservés – Date de première parution : 9 mai 2010

 

Partie 1
INTRODUCTION

L’édition niçoise du quotidien Métro paru le 19 mars 2010 a révélé qu’un « jury de professionnels » du« Marathon de la photographie » organisé par le magasin Fnac de Nice venait de décerner, dans la catégorie « politiquement incorrect » [sic], son « coup de cœur » à la photo d’un individu s’essuyant les fesses avec le drapeau français (1).

« Il était dépourvu des qualités brillantes, de l’ampleur de vues,
de l’audace sans scrupules qui font les personnages hors norme.En 1939, à 53 ans, rien n’annonçait un grand destin.
En 1945, à 59 ans, rien n’annonçait le père de l’Europe.»
(Robert Schuman, du Lorrain des frontières au père de l’Europe, Fayard, 2008)

Dans cette ambiance abjecte, où le politiquement correct consiste bien au contraire à avilir tout ce qui a fait la France et sa grandeur, il est quelques personnages de notre histoire qui échappent, comme par miracle, à cet impératif d’humiliation de la nation française. Parmi ces rares rescapés figurent, tiens donc !, Jean Monnet et Robert Schuman, les prétendus « pères de l’Europe ».

Rien n’est trop beau pour nous les présenter, et notamment le second. Robert Schuman est décrit à longueur d’ouvrages, de sites et de discours officiels en des termes qui feraient trépigner de rire si on les lisait sous la plume d’un journaliste nord-coréen pour qualifier Kim Jong II. Schuman aurait ainsi été un « apôtre laïc », un « Gandhi chrétien » d’une « audace inouïe », un homme « sans ambition, d’une totale sincérité et humilité intellectuelles », le « plus modeste des grands hommes »« ayant la haine viscérale du mensonge »« aspirant à la sainteté », etc. (2).

Le présent dossier, conçu à l’occasion du 60e anniversaire de la Déclaration du 9 mai 1950, a pour objet de rétablir la vérité historique sur un personnage qui fut servile devant tous les puissants, lâche en temps de guerre, traître à la République, et finalement manipulé par les Américains.

1 – ROBERT SCHUMAN, UN MOSELLAN “RESPECTUEUX DES AUTORITÉS ET DE L’ORDRE ÉTABLI”

Jean-Pierre Schuman (1837-1900), père de Robert Schuman, était un Mosellan né Français à Evrange, village lorrain à la frontière franco-luxembourgeoise. C’était un propriétaire terrien, partiellement exploitant agricole et partiellement rentier. Il avait servi dans l’armée française sous Napoléon III en 1870. Mais, après Sedan et l’annexion de l’Alsace-Lorraine au Reich, il n’avait pas usé du « droit d’option » pour sa patrie, la France. Il avait préféré devenir citoyen allemand. La mère de Robert Schuman, Eugénie Duren, était une Luxembourgeoise née à Bettembourg, qui avait acquis la nationalité allemande lors de son mariage avec Jean-Pierre Schuman.

Robert Schuman, fils unique du couple, naquit citoyen allemand, le 29 juin 1886, au Luxembourg où la famille s’était installée. Le jeune Robert fréquenta l’école communale de Clausen, faubourg de Luxembourg où il est né, avant de poursuivre ses études à l’Athénée grand-ducal.

Le jeune Robert Schuman avait donc trois patries d’origine, distantes de quelques dizaines de kilomètres. Très attaché à ses parents, il souffrit beaucoup de leur décès, à dix ans d’intervalle (1900 et 1911) avant la guerre de 1914.

Schuman, ayant perdu son père à 14 ans et sa mère à 25 ans en 1911, aurait pu, n’ayant plus de famille proche, partir s’installer en France. Pourtant, il décida de rester allemand et fit le choix d’aller étudier le droit dans les universités allemandes. Ses études supérieures le conduisirent successivement à fréquenter les Universités de Bonn, Munich, Berlin et enfin celle de Strasbourg, la capitale du Reichsland annexé. Il s’installa enfin en 1912 à Metz comme avocat (3).

Comme le note l’historien François Roth, Robert Schuman se montra ainsi un parfait sujet de l’Empire allemand, « respectueux des autorités et de l’ordre établi », et ne participant à aucune des manifestations du Souvenir français (4).

2 – ROBERT SCHUMAN, SOLDAT ALLEMAND « PLANQUÉ » PENDANT LA PREMIÈRE  GUERRE MONDIALE, DEVIENT CITOYEN FRANÇAIS EN 1918 ET RÉVÈLE UNE NATURE  OPPORTUNISTE

En 1908, âgé de 22 ans et vivant seul avec sa mère veuve, Robert Schuman se fait réformer. Prétendument pour raisons médicales. Cette décision qui n’est pas si banale à l’époque et qui ne plaide guère pour le courage et l’ardeur au combat du jeune Schuman, lui vaut d’être exempté du long service militaire allemand, de deux ans. Toutefois, la guerre de 1914 mobilise plus largement que le service du temps de paix et il est affecté sous uniforme allemand, de 1915 à 1918, comme adjoint d’administration au responsable de la sous-préfecture allemande (Kreisdirektion) de Boulay en Moselle (5). Ce travail, qui n’est pas subalterne compte tenu des diplômes et du métier d’avocat de Robert Schuman, lui vaudra d’être accusé, en 1919, par plusieurs organes francophones lorrains d’avoir servi comme officier de l’armée allemande et d’avoir été « embusqué » dans cette sous-préfecture (6). Si polémique il y eut, c’est bien que son attitude suscitait pour le moins des débats.

De fait, selon François Roth, Schuman a raisonné jusqu’en 1917 « comme s’il devait rester allemand ». Ce n’est qu’en 1918 qu’il se rend à l’évidence de la proche défaite allemande et du retour de l’Alsace-Lorraine à la France. Du coup, il renverse totalement sa position. Dans une lettre à son cousin Albert Duren écrite en 1920, Robert Schuman raconte que « la France, je la connaissais très, très superficiellement » mais qu’en 1918, il aboutit « à une confiance et une affection sans réserve pour la grande famille [la France] qui nous accueillait ». Après la défaite allemande de 1918, il s’adapte donc immédiatement à sa nouvelle patrie et prétend la servir comme la précédente (4).

Si l’on ne veut pas être injuste, il faut reconnaître que la situation des Alsaciens-Mosellans n’était pas facile à l’époque et que beaucoup vécurent comme un drame le fait d’être tiraillés entre deux pays. On comprend que les populations durent se plier à une autorité, puis à une autre. Il n’en demeure pas moins que tous n’agirent pas, loin de là, comme le brave Robert Schuman, toujours aussi « respectueux des autorités et de l’ordre établi ». Car après avoir continuellement fait le choix de l’Allemagne et avoir servi comme officier allemand, à l’abri dans un bureau jusqu’en 1918, il proclama sans le moindre délai de décence sa « confiance et son affection sans réserve » pour la France lorsque la défaite allemande fut en vue et décida aussi sec d’y entamer une carrière politique.

La personnalité de Robert Schuman commence ainsi à se dessiner : c’est un jeune homme obéissant, pour ne pas dire servile devant les puissants du moment, doublé d’un opportuniste. En termes triviaux, Robert Schuman n’apparaît pas seulement comme une girouette mais aussi comme un Tartuffe, ayant le culot de donner à ses retournements de veste une dimension romanesque, pour ne pas dire morale.

Girouetes

3 – ROBERT SCHUMAN, PARLEMENTAIRE CATHOLIQUE, ULTRA-CONSERVATEUR ET PEU IMAGINATIF, EST ATTIRÉ PAR LES DICTATURES DE DOLLFUSS, SALAZAR, FRANCO ET HORTHY

Le retour de l’Alsace-Moselle à la France en 1918 ne remplit pas d’une joie sans mélange les milieux catholiques lorrains conservateurs dont fait partie Robert Schuman. Ils redoutent les retrouvailles juridiques avec une République française perçue comme anticléricale. Car l’Alsace-Moselle devenue allemande en 1871 n’a pas connu la dissolution des ordres religieux (1902-1904) décidée en France et n’a pas connu non plus la séparation de l’Église et de l’État, qui constitue l’un des fondements essentiels de notre laïcité et de notre pacte républicain depuis 1905. Argument touchant davantage le portefeuille, le clergé mosellan vit encore sous le régime du Concordat de 1801 et bénéficie à ce titre des subventions publiques qui ont été supprimées dans le reste de la France.

Afin d’échapper à un pareil sort, l’aumônier de Robert Schuman dissuade en 1919 celui-ci d’entrer dans les ordres et le pousse plutôt à se présenter aux élections législatives, afin qu’il tente d’y sauver le régime du Concordat en Alsace-Moselle. L’aumônier le lui écrit en ces termes : « Je pense que tu as quelque chose à faire dans le monde et que les saints de demain seront des saints en veston »(2).

Dans le long panégyrique qu’il lui a consacré en 2003, Michel Albert, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et politiques, précise qu’à ce tournant de sa carrière, « si Robert Schuman se résigne ainsi à s’engager dans la vie politique pour tenter d’y appliquer la doctrine sociale de l’Église, ce n’est pas sans regret. Il déclare : ‘‘Combien aurais-je préféré me consacrer à ma profession, aux oeuvres religieuses et sociales, et à ma famille’’. Famille au demeurant réduite, car il est resté toute sa vie célibataire. » (2)

Robert Schuman le contemplatifCette résignation est-elle sincère, comme semble le penser son hagiographe ? Ou ne serait-elle pas plutôt la première manifestation de ce caractère roublard, typique de tous les Tartuffes de la politique, qui lèvent les yeux au ciel en jurant qu’ils n’ont accepté un mandat électif ou un portefeuille de ministre que contraint et forcé, pour « céder à la pression de leurs amis » ? Comme on va le voir, la suite de la biographie de Robert Schuman permet à notre avis de choisir sans hésiter cette seconde hypothèse. Mais il semble que même Michel Albert ait un doute puisque son éloge outrancier devant l’Académie portait un titre (involontairement ?) narquois, repris d’une formule de Jacques Fauvet : Robert Schuman, le contemplatif dix fois ministre !(2) Avec un point d’exclamation.

Quoi qu’il en soit, Robert Schuman va très vite se faire une raison de ne pas avoir choisi d’entrer au petit séminaire. Élu d’une des circonscriptions de Metz aux élections législatives de fin 1919, celui qui « se résignait » à s’engager dans la vie politique va siéger au Palais-Bourbon sans discontinuer de 1919 à 1940, d’abord à l’Union Républicaine Lorraine, petit parti régional associé au Bloc National puis à Poincaré, ensuite, à partir de 1931, au Parti Démocrate Populaire, un des ancêtres du MRP. Une sorte de record.

Comme le note Michel-Pierre Chélini, l’activité parlementaire de Robert Schuman va se révéler « modeste » et « banale », si ce n’est qu’il s’oppose nettement à la partie anticléricale de la politique du Cartel des gauches (1924-26), conformément à la mission que lui a confiée son aumônier. Comme le note Michel Albert, Schuman va en effet contribuer dans une large mesure au maintien des particularismes linguistiques, sociaux et religieux de l’Alsace-Moselle, en particulier le régime concordataire (4). De 1929 à 1939, il est membre de la Commission des Finances de la Chambre des députés où il se montre à la fois scrupuleux, très orthodoxe (avec son souci constant de l’équilibre budgétaire), voire « peu imaginatif» en cette période de crise grave (7).

Engelbert Dollfuss et Francisco FrancoRobert Schuman va bien sûr se montrer défavorable au Front Populaire (1936-38), mais moins pour le caractère social des mesures votées que pour les menaces sur la propriété patronale ou la structure du budget dont les projets gouvernementaux lui semblent être porteurs. Il est hostile à l’Office du Blé, hostile à la modification du statut de la Banque de France, hostile à la dévaluation du franc. Bref, Robert Schuman se montre, comme toujours, « respectueux des autorités et de l’ordre établi ».

Sur cette période de l’entre-deux-guerres, Robert Schuman apparaît en fait non seulement comme un parlementaire catholique ultra conservateur, mais aussi comme fort peu républicain.

Anti-laïque, Robert Schuman se fait le « défenseur vigilant du statut scolaire des départements recouvrés ». Il se montre par ailleurs « tolérant » vis-à-vis des autonomistes lorrains et alsaciens, lesquels finiront souvent dans la Collaboration avec le régime nazi (4).

Se montrant sensible à la question sociale, mais viscéralement anti-communiste, Robert Schuman ne cache pas à quel point il est attiré par le corporatisme autoritaire catholique du chancelier autrichien Dollfuss (8), par les régimes autoritaires du Hongrois Horthy (9) et du Portugais Salazar (10), par Franco, tombeur de la République espagnole, ainsi que par la cause croate(4).

Comme le dit François Roth à la fin de ce chapitre qui se termine sur l’année 1939 : “A 53 ans, rien n’annonçait un grand destin.”

Ajoutons que tout annonçait au contraire un homme prêt à avoir des complaisances pour le régime de Pétain.

Miklos Horthy - Antonio de Oilveira Salazar

 

4 – ROBERT SCHUMAN APPROUVE LES ACCORDS DE MUNICH, VEUT CESSER LE COMBAT DÈS LE 12 JUIN 1940, ENTRE AU 1ER GOUVERNEMENT PÉTAIN, PUIS VOTE LES PLEINS POUVOIRS À VICHY

La seconde partie des années 30, se clôturant par le désastre de 1940, va jeter une lumière encore plus crue sur cette attirance de Robert Schuman pour les régimes à poigne, attirance soigneusement gommée du dogme européiste et des manuels d’histoire de nos jours.

Dès le 30 septembre 1938, Robert Schuman applaudit aux Accords de Munich, par crainte d’une nouvelle guerre qu’il juge désormais « fratricide » (7). Certains peuvent trouver évangélique ce qualificatif de « fratricide ». Mais d’autres y verront plutôt l’odieuse tartufferie de quelqu’un qui feint de ne pas voir la différence de nature entre le régime nazi et la République française et qui insiste de ce fait sur une nécessaire entente entre les deux pour éviter la guerre. Les Collaborationnistes français ne diront pas autre chose pour justifier ensuite les pires bienveillances à l’égard du régime hitlérien.

L’offensive allemande du 10 mai 1940 conduisant en quelques semaines à la défaite de la France, Robert Schuman pense, dès le 12 juin, qu’il « faut mettre bas les armes » (4). Est-ce là le propos d’un « Gandhi chrétien » ou la réaction habituelle, décidément lassante de couardise, du réformé de 1908 et du planqué de 1915 ?

La suite des événements est encore plus compromettante et c’est alors que les analyses divergent.

Pour Michel-Pierre Chélini, dont le texte est repris sur le site officiel de la Fondation Robert Schuman,« nommé sous-secrétaire d’État aux réfugiés dans le gouvernement de Paul Reynaud en mars 1940, Robert Schuman est maintenu à ce poste, en son absence, dans le gouvernement Pétain (16 juin-10 juillet 1940) et vote les pleins pouvoirs à ce dernier le 10 juillet, Laval lui ayant certifié que seul le maréchal était capable de conserver l’Alsace-Moselle à la France. » (7) En un mot, Robert Schuman aurait ainsi été nommé au premier gouvernement Pétain par hasard et l’intéressé aurait ensuite voté les pleins pouvoirs au Maréchal par patriotisme, du fait de sa crainte de voir l’Alsace-Moselle repasser sous souveraineté allemande.

Le problème de cette présentation des événements est qu’elle n’est tout bonnement pas crédible quand on la remet en perspective de la personnalité de Robert Schuman. Outre qu’il a toujours été « respectueux des autorités et de l’ordre établi », il était très attiré, on l’a vu, par tous les nouveaux régimes autoritaires européens à forte connotation catholique (Autriche, Espagne, Portugal) et l’on ne dispose pas d’éléments pouvant laisser penser qu’il ait été un critique du pétainisme. En outre, ses origines et ses choix de jeune adulte permettent de douter que la perspective de voir l’Alsace-Moselle redevenir allemande lui ait paru spécialement intolérable par principe.

Robert Schuman

N’ayant pas peur du ridicule, Michel Albert, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et politiques, va pourtant encore plus loin puisqu’il affirme que « le 10 juillet 1940, Robert Schuman vote les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain puis, sans avoir été consulté, il apprend qu’il avait été maintenu dans ses fonctions antérieures de sous-secrétaire d’État aux réfugiés » (7).

Qui peut croire un instant à cette fable d’un homme ayant été député pendant 21 ans, et ministre depuis 4 mois, qui aurait été nommé au gouvernement sans son consentement, et qui n’aurait pas protesté pendant près d’un mois faute d’en avoir été informé ?

Ici comme ailleurs, l’analyse de l’historien François Roth paraît beaucoup plus crédible lorsqu’il explique que, le 16 juin 1940, Schuman est confirmé par le maréchal Pétain dans ses fonctions de sous-secrétaire d’État ; qu’après l’armistice, il fait partie des 569 parlementaires qui votent sciemment les pleins pouvoirs à Pétain. Mais que c’est Pierre Laval qui ne veut pas de lui dans le nouveau gouvernement formé le 12 juillet (4).

La vérité est donc peu reluisante et rien n’interdit même de penser que, si Pierre Laval avait accepté d’offrir un portefeuille à Robert Schuman, celui-ci l’aurait accepté. Mais, ayant été écarté par Laval, Schuman, dont Roth dit qu’il était “un légaliste” et “pas un républicain dans le sens français du terme”, part aider les réfugiés, a des entrevues avec des prélats catholiques, et ce jusqu’en septembre 1940.

5 – QU’A FAIT PRÉCISÉMENT ROBERT SCHUMAN ENTRE SEPTEMBRE 1940 ET NOVEMBRE 1942 ?

Entre septembre 1940 et novembre 1942 se place alors une partie de la vie de Robert Schuman qui est incontestablement la plus mystérieuse et sur laquelle tous les ouvrages dithyrambiques n’aiment pas à s’attarder.

Josef BürckelFrançois Roth relève un fait étrange : alors que de nombreux Messins et Mosellans sont expulsés du département de la Moselle par le Gauleiter nazi Josef Bürckel ?, Robert Schuman, quant à lui, fait le chemin inverse. Il rentre à Metz en zone occupée où il ne trouve rien de mieux à faire que de brûler sa correspondance. Puis… il se rend à la police pour discuter du rapatriement des réfugiés mosellans. On lui propose de collaborer avec les autorités allemandes (2).

Que s’est-il dit entre Robert Schuman et les autorités nazies de Metz qu’il était allé voir, lui ministre du gouvernement sortant, et cela sans aucun mandat d’aucune sorte ? Nous n’en savons rien de précis si ce n’est qu’il aurait « refusé de collaborer », comme nous en assurent ses défenseurs. Mais quel était l’alors l’objet initial de sa démarche ? Quoi qu’il en soit, Robert Schuman est placé en état d’arrestation et écroué de septembre 1940 à avril 1941. Michel Albert s’en extasie en lançant que « pendant la guerre, ayant refusé toute collaboration avec les Allemands, il avait été le premier parlementaire français jeté en prison par la Gestapo et mis au secret à Metz » (2). Certes, mais il était aussi le premier ancien ministre à s’être rendu en Alsace-Moselle pour y prendre langue avec les troupes nazies.

La suite des événements est à peine plus claire. Sur ordre d’Heinrich Welsch, le procureur allemand et futur ministre-président de transition de la Sarre en 1955, Robert Schuman est sorti de prison, non pas pour être envoyé en déportation comme d’autres parlementaires français, mais pour être placé en résidence surveillée à Neustadt-an-der-Weinstrasse dans la Forêt Noire. On ignore ce qui vaut cette clémence mais Robert Schuman y gagne clairement au change. Car cette « résidence surveillée » est justement si peu surveillée qu’il s’enfuit vers la zone libre en août 1942, après avoir de nouveau refusé plusieurs offres de collaboration (4).

Il prend alors des contacts avec le gouvernement de Vichy, mais ces contacts le convainquent qu’il n’a rien à attendre du régime de Pétain. C’est seulement lorsque ont lieu le débarquement allié en Afrique du nord (Opération Torch) et l’invasion consécutive de la « zone libre » par les troupes du Reich que Robert Schuman se décide, enfin, à passer dans la clandestinité…

6 – ROBERT SCHUMAN, « PLANQUÉ » DANS DES ABBAYES PENDANT LA SECONDE GUERRE MONDIALE, REFUSE DE S’ENGAGER DANS LA RÉSISTANCE

À partir de novembre 1942, Robert Schuman décide donc de vivre clandestinement, mais il opte pour le cadre bucolique de charmantes abbayes. Il s’installe à l’abbaye d’En-Calcat (ci-dessous à gauche), monastère bénédictin situé dans le Tarn, « dont il suit les heures liturgiques », mais aussi à l’abbaye de Notre Dame des Neiges en Ardèche (ci-dessous à droite) et à l’Abbaye de Ligugé dans la Vienne. À aucun moment il n’envisage de s’engager dans la Résistance. Un de ses collaborateurs aux Finances en 1947-48, François Bloch-Lainé, lui-même engagé dans les mouvements de résistance, dira plus tard que Robert Schuman « avait fait sa guerre à sa manière »….

C’est, encore une fois, une façon bien complaisante de présenter les choses. Ne serait-il pas plus honnête de dire, pour en finir avec la propagande de « l’apôtre laïc », que le réformé de 1908, le planqué de 1915, le munichois de 1938, le défaitiste et le pétainiste de 1940, se planqua de nouveau entre 1942 et 1944, en choisissant finement de s’installer dans des cadres campagnards qui devaient être bien agréables en ces temps où sévissaient les restrictions alimentaires et le marché noir dans les centres urbains.

Abbaye d'En CalcatAbbaye de Notre Dame des Neiges

 

7 – ROBERT SCHUMAN, QUALIFIÉ DE « PRODUIT DE VICHY », EST POURSUIVI POUR « INDIGNITÉ NATIONALE » À LA LIBÉRATION, ET FAIT JOUER SES APPUIS DANS L’ÉGLISE POUR Y ÉCHAPPER

Cette vision plus juste de la vraie personnalité de Robert Schuman n’échappa nullement à ses contemporains. À la Libération, le ministre de la Guerre, André Diethelm (11), qui devait avoir quelques informations solides, exigea que « soit vidé sur-le-champ ce produit de Vichy » (6). Les autorités de la France Libre le traitèrent pour ce qu’il était : à savoir un ex-ministre de Pétain et l’un des parlementaires ayant voté les pleins pouvoirs au maréchal en assassinant la IIIe République. Ces faits suffirent à le frapper « d’indignité nationale » et « d’inéligibilité ».

Toute honte bue, et mû par l’ambition dévorante de reprendre des responsabilités politiques, cet homme « sans ambition, d’une totale sincérité et humilité intellectuelles » pour reprendre le jugement burlesque repris par Michel Albert à André Philip (2), finit par écrire au général de Gaulle le 4 juillet 1945 pour le supplier de lui retirer ces marques d’infamie. Des « amis » – pour reprendre l’expression de Michel-Pierre Chelini (7) – intervinrent auprès du chef du Gouvernement provisoire pour appuyer cette demande. Quels amis ? Très probablement le clergé mosellan, mais aussi probablement le Vatican de Pie XII.

Charles de Gaulle, qui avait une piètre image de Robert Schuman mais qui, en homme d’État, avait le souci d’apaiser les tensions entre Français, céda à la supplique et intervint pour que l’affaire fût classée. Un non-lieu en sa faveur fut prononcé par la commission de la Haute Cour le 15 septembre 1945 et Robert Schuman reprit sa place dans la vie politique française comme si de rien n’était.

8 – ROBERT SCHUMAN, À PEU PRÈS DÉPOURVU DE TOUTES LES QUALITÉS D’UN HOMME D’ÉTAT, DEVIENT UN POLITICARD DE LA IVE RÉPUBLIQUE, « FAUX NAÏF », « HABILE » DANS LA « MANŒUVRE POLITICIENNE » ET DANS LA DISSIMULATION DE DÉCISIONS ESSENTIELLES

À peine relevé de sa peine d’inéligibilité pour collaboration, Robert Schuman se lance donc dans la politique de la IVe République. Il est candidat aux législatives du 21 octobre 1945, et sa liste remporte quatre sièges sur sept en Moselle. C’est ici le lieu de souligner plusieurs points importants du personnage, à commencer par ses qualités médiocres d’homme d’État et de parlementaire.

Robert SchumanFrançois Roth écrit que Robert Schuman « était dépourvu des qualités brillantes, de l’ampleur de vues, de l’audace sans scrupules qui font les personnages hors norme » et que sa vie« n’était pas celle d’un de ces grands individus qui ont façonné l’Histoire.» (4) Michel Albert relève qu’il était « au physique, comme un grand diable à la silhouette terne et voûtée, vieillissant avant l’âge, dépourvu de séduction. Tous ces traits en firent une cible privilégiée pour les caricaturistes, qui présentaient ce parlementaire comme un curé de campagne sans soutane. » (6)

Tous les observateurs de l’époque se retrouvent pour stigmatiser, parfois méchamment, ses piètres qualités oratoires et son apparence physique, qui ne cadrent pas avec l’image d’un grand responsable politique. Selon E. Borne, « on s’endormait en écourtant sa parole lente, appliquée, sans aisance». Selon Jacques Fauvet, « il donnait l’impression d’être un orateur qui pèse longuement ses arguments comme un vieux pharmacien ses pilules ».(6) Selon Georges Bidault, Président de son parti, le MRP, et qui ne l’aimait pas, Robert Schuman était « un moteur à gaz pauvre »(2) . Il avait « une frêle silhouette et une voix nasillarde »(12). Lui-même reconnaissait : « Je ne suis pas orateur.» Certains brocardaient son allure de « jeune communiant monté en graine », d’autres celle « d’un homme qui est né vieux ». Discret, terne, effacé, il faisait l’impossible pour ne pas se faire remarquer.(6)

Mais au-delà de ces apparences, Raymond Poidevin, pourtant l’un de ses admirateurs, souligne à quel point Robert Schuman « ne manquait pas d’habileté dans le jeu politique » de la IVe République. Il le décrit comme « feutré, faux-naïf », comme « ayant le sens de la manoeuvre politicienne », comme « jouant un rôle clé dans la plupart des crises ministérielles avec un sens aigu des dosages politiques ».(6) Il précise que Robert Schuman savait aussi « contourner les questions indiscrètes des parlementaires soit en commission, soit en débat public » et qu’il estimait devoir « informer le Parlement le plus tard possible sous peine de compromettre une négociation. »(6)

Relevons que ces descriptions trahissent ce qu’a d’évidemment mensonger l’idée selon laquelle il aurait pu être nommé au gouvernement de Pétain sans son accord et y rester près d’un mois sans le savoir. Elles montrent aussi ce qu’ont de naïf les descriptions qui nous présentent comme un modèle de sincérité et d’intégrité cet homme suprêmement retors ayant réussi le tour de force d’être dix fois ministre sous la la IVe République. La dissimulation de Robert Schuman était extrême, comme le dévoile à son corps défendant Raymond Poitevin lorsqu’il précise que celui qui était devenu ministre des Affaires étrangères de la République « restait discret vis-à-vis de l’Élysée dans certaines grandes occasions comme lorsqu’il prépara la ‘‘bombe’’ du 9 mai 1950. Cette même affaire le conduisit à n’informer que deux de ses collègues du gouvernement alors qu’il estimait qu’un ministre doit régulièrement tenir tous ses collègues ‘‘au courant des affaires de son ressort’’ ».(6)

Réélu aux élections législatives de juin 1946, Schuman fut appelé par Georges Bidault à devenir ministre des Finances, fonction qu’il occupa jusqu’en novembre 1947, pour devenir ensuite président du Conseil, c’est-à-dire Premier ministre de la IVe République. En juillet 1948, son cabinet fut renversé sur une banale affaire de crédits militaires. Avec une aptitude consommée à retomber sur ses pieds, Robert Schuman resta pourtant au gouvernement, en devenant ministre des Affaires étrangères, poste qu’il occupera jusqu’en janvier 1953, « soit sous neuf cabinets successifs, ce qui, étant donné l’instabilité ministérielle de la IVe République, représentait une sorte de record », comme le remarque François Roth. Au moment où il arrive au Quai d’Orsay, « rien n’annonce alors que Schuman, qui a 59 ans, sera le futur père de l’Europe » (4).

9 – ROBERT SCHUMAN, « N’AYANT PAS D’IDÉE PERSONNELLE », SE FAIT REMETTRE PUIS S’APPROPRIE UNE « DÉCLARATION » PRÉPARÉE PAR JEAN MONNET ET LES AMÉRICAINS

time magazine monnetEn relatant la genèse de ce qui allait devenir la fameuse « Déclaration Schuman » du 9 mai 1950, François Roth montre que ce ne fut pas du tout Robert Schuman qui en prit l’initiative mais le secrétaire d’État américain, l’habile Dean Acheson (en couverture du magazine américain Time ?). Au cours d’une réunion informelle sur l’avenir de l’Allemagne qu’il avait organisée à Washington en septembre 1949, et à laquelle il avait convié le Britannique Ernest Bevin et le Français Robert Schuman, Dean Acheson demanda à Schuman « qui a une grande expérience de l’Allemagne, de faire des propositions, de définir un projet sur l’avenir de l’Allemagne » (4).

Robert Schuman, “respectueux des autorités et de l’ordre établi”, accepta bien entendu cette mission. Mais celui qui était “peu imaginatif” à la quarantaine avait peu de chance de l’être devenu à 64 ans : il avoua n’avoir pas la moindre idée. Il était d’ailleurs d’autant plus embarrassé que les relations franco-allemandes étaient en train de se détériorer à cause du statut de la Sarre et que le 10 mai 1950 devait se réunir à Londres un Conseil atlantique pour discuter de l’Allemagne, où il perdrait la face s’il n’avait rien proposé de concret d’ici là.

C’est alors que l’on approchait de cette date qu’entra en scène Jean Monnet (ici en couverture du magazine américain Time ?). Officiellement Commissaire général au Plan, Monnet était, de notoriété publique depuis la Deuxième Guerre mondiale, un homme des Américains.Comme si la répartition des rôles avec Dean Acheson avait été calculée au millimètre, Jean Monnet eut le bon goût de transmettre à Robert Schuman un projet de Déclaration tout ficelée et sortie de Dieu sait où. Comme on était le 1er mai 1950, que Robert Schuman« n’avait pas d’idée personnelle » et que « ses services n’avaient rien proposé » (4), le moins que l’on puisse dire est que ce texte transmis par Jean Monnet tombait à point nommé. Une aubaine !

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